Réponse à Valérie Merviel

Publié le par Darklord

Je remercie d'abord Valérie Merviel de m'avoir laissé un commentaire très intéressant sur l'un de mes vieux articles : Quels vrais changements pour la constitution ? J'ai évidemment souhaité lui répondre mais je me suis laissé aller à des explications un peu longues et j'ai donc pensé qu'il était préférable de transformer cette réponse en article qui est plus agréable à lire. En plus, cela permettra à des gens intéressés par la questions de ne pas être obligés de se replonger dans les vieux articles pour trouver le dit commentaire que je vous restitue ici :

 

« Juste une interrogation que j'ai eu lors de l'annonce du pourcentage d'abstention ce jour lors des élections européennes ( 60 %).
Nous avons la chance d'habiter dans un pays démocratique, mais j'ai la sensation que l'esprit démocratique se banalise et que le droit de vote (qui de nos jours n'est pas la règle pour tous les pays, loin de là !) devient une corvée et non plus un formidable moyen de s'exprimer. Au final  tout juste 40 % des personnes en capacité de voter s'exprime et cela ne représente plus vraiment le souhait de la population française dans sa majorité.
 Donc je me suis posée la question de la création d'une loi obligant à
au moins 50 % (ou 55%) de participation aux élections organisées en France , représentant alors la majorité des souhaits et choix des citoyens afin que le résultat en soit validé. Si moins de 50 % de votant, le résultat n'est pas validé, et de nouvelles élections doivent être organisées. Peut être que les citoyens reprendraient conscience de cette liberté d'expression qu'est le droit de vote. Ensuite, libre à eux de voter nul si c'est leur souhait pour montrer un désaccord. »

 

 

Je ne suis pas tout à fait d'accord avec cette vision des choses, je m'explique.

Partons du principe même de la démocratie. Alexis De Tocqueville disait que la démocratie est le système qui permet au citoyen de ne pas être citoyen. On peut être d'accord ou pas avec ce postulat, moi c'est le cas. Est-ce que la démocratie sera toujours la démocratie si elle se base sur une obligation ?

Prenons les gens qui n'ont pas voté. Que se passera-t-il si on les oblige à aller aux urnes ? Ils n'ont pas fait de choix, ou n'ont pas voulu en faire. Si rien ne leur convient que voteront-ils ?

On me dira « blanc », mais ce n'est pas aussi simple.

Le système actuel est loin d'être celui d'une démocratie parfaite. Et à mon avis c'est plutôt là que se joue le problème. Le vote blanc, par exemple, n'est pas pris en compte dans le décompte des voix. Donc actuellement, voter blanc ou s'abstenir revient au même. La personne qui a été votée a surement le sentiment du devoir accompli, à raison. Cela dit, pour tout le reste, cela ne fait pas la moindre différence. Un vote blanc, s'il n'est pas pris en compte, à la même portée officielle qu'une abstention.

Il est une raison simple à ce refus de prise en compte, le vote blanc ferait, statistiquement, descendre tous les résultats des candidats qui se retrouveraient alors devant la réalité.

Une élection est un mensonge. Ou du moins, elle l'est devenue. Elle ne présente jamais que des résultats falsifiés, finalement, sans même parler de triche. Ne compter que les votants dits « exprimés » (un vote blanc est techniquement un vote exprimé, mais pas pour un candidat) permet de faire gonfler les chiffres de tout le monde et de se voiler la face.

60% d'abstention pour ces élections européennes, c'est énorme et ce n'est pas non plus la réalité d'ailleurs. Ces « abstentions » sont également, en partie, des votes blancs. Imaginons un instant de transformer toutes ces voix « perdues » en vote blanc comptabilisés. Les chiffres obtenus par les listes européennes seraient ridicules pour les grands partis, voir inexistants pour les petits. Ce serait beaucoup plus juste de la réalité, mais la réalité, les politiciens s'en moquent.

Il y a un autre phénomène qui émerge avec cette façon de faire qui est assez surprenant, c'est le fait que l'abstention devient plus parlante que le vote blanc. Car, on le voit, les records d'abstentions que nous franchissons un par un à chaque nouvelle élections font beaucoup parlé d'eux. Rien n'est fait officiellement (à part à un niveau associatif) pour y remédier, cela pour les raisons exposées plus haut. Mais il apparaît qu'à travers la médiatisation du chiffre de l'abstention, l'abstentionniste a plus de poids sur la société qu'il n'en a en allant voter blanc.

Tout cela pour expliquer, donc, que je ne suis pas tout à fait d'accord pour dire qu'une élection est « un formidable moyen de s'exprimer ». En tout cas pas actuellement. Les politiciens de tous bords ont toujours essayé de minimiser la participation citoyenne au seul vote qui, s'il est un élément fondamental de la démocratie, n'en est pas le seul. Or le système électoral seul ne suffit pas à faire entendre les citoyens, ou du moins pas assez souvent pour qu'ils soient pris en compte. Et lorsque ces élections ont lieu, on les minimise souvent, il n'y a qu'à voir la quasi absence de campagne électorale pour les européennes.

Mais concluons sur cette idée de loi obligeant une élection à avoir 50% de votants pour être légitimée. Logiquement parlant, cela semble être une bonne idée. Mais comme je l'ai expliqué, ce ne sera déjà pas possible. Je cite : « libre à eux de voter nul si c'est leur souhait pour montrer un désaccord ». Oui, mais le vote blanc ou nul (il y a une différence entre les deux, certes minime) ne sera pas comptabilisé, ou plutôt, ils seront comptabilisés en abstentions puisque seuls les résultats exprimés pour un parti comptent. Même en obligeant tout le monde a aller voter, si la majorité des votants votent blanc, on en arrivera à un taux officiel de participation inférieur à 50% donc invalide. Si une loi comme celle-ci passait actuellement, plus aucune élection ne serait valide, ou alors tous les votants seraient obligés de choisir un candidat, même s'il ne leur plaît pas.

Il faudrait donc modifier le mode de calcul des résultats électoraux pour qu'un tel système fonctionne. Mais là, ça pose le problème des résultats amoindris de chaque parti qui ne légitimerai pas beaucoup les vainqueurs, finalement.

Le problème de l'abstention est, je crois, avant tout un problème du système plus que des gens mêmes. Certains ne s'intéressent pas à un scrutin ou un autre, voir à tous, c'est sûr. Mais rien n'est vraiment fait pour encourager le vote des abstentionnistes.

Et quand bien même cela serait fait qu'il faut se poser la question de la légitimité d'obliger quelqu'un à aller voter, même pour un blanc ou un nul. Après tout, la liberté d'expression d'un individu ne peut-elle pas aussi s'incarner dans son refus de participer à un système qu'il n'approuve pas ? Qui a dit que, puisque nous vivons en démocratie (en apparence, on le voit rien qu'à la façon d'organiser un scrutin) il fallait absolument que nous aimions le système électoral ?

C'est pourquoi je pense qu'un tel système, en plus d'être actuellement infaisable, n'est pas souhaitable. On ne peut pas forcer les gens à avoir une opinion et, de surcroit, à l'exprimer. La vie citoyenne s'est morcelée pour n'être plus reconnue qu'à travers les uniques élections et elle a laissé tomber du monde en route. Mais ce n'est pas fataliste. Je crois qu'il faudrait avant tout une vie citoyenne plus active, plus vive. Les politiciens devraient encourager cette vie citoyenne plutôt que de la résumer à des résultats tronqués de scrutins. Mais, comme je l'ai montré, il préfère ignorer la réalité.

Publié dans Citoyenneté

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